L’Apport de Driss Benabud
- Par Mohamed Moubarak Ryan
- Maroc Echecs le vendredi 20 janvier 2006.
• Le site Maroc-Echecs dédie son 35° tournoi hebdomadaire à Feu Driss Benabud ; C’est l’occasion d’évoquer la mémoire de l’un des pionniers des échecs nationaux, qui était considéré, à juste titre, comme le « Père du jeu d’échecs dans le Nord du Royaume ». Bien que je ne sois pas le mieux habilité à parler de ce grand personnage, j’espère bien que d’autres contributions plus étoffées, viennent enrichir mon modeste article.
• Feu Benabud naquit, selon ses proches, vers 1911 et meurt en 1969 à l’age 58 ans. Il était affaibli par la maladie, atteint d’une paralysie partielle qui affectait ses activités échiquéennes dans la fin des années soixante.
• Pionnier des échecs dans notre pays, il le fut en tant que premier marocain ayant intégré les cercles espagnols « fermés » à Tétouan dans les années trente, et excellé dans le jeu d’échecs « Roi des Jeux », une activité intellectuelle réservée surtout à une élite des fonctionnaires et militaires espagnols qui occupaient alors, la zone nordique de notre pays. Il était impensable qu’un « indigène » puisse disputer les premières places aux maîtres des lieux jusqu’à remporter plusieurs fois le championnat de la zone ! Si Driss en était très fier. Il suffit de contempler la photo de sa simultanée, publié par A. Onkoud dans le site, pour s’en apercevoir ; Un marocain habillé de sa Djelleba traditionnelle est en face à une douzaine de joueurs, dont la plupart sont espagnols, cravatés et habillés tous à l’européenne. Ce fut certainement un acte de patriotisme de la part d’un citoyen nationaliste, mais qui n’hésitait pas à épouser la modernité.
• Feu Benabud, fut certainement le premier marocain à avoir étudié la théorie échiquéenne moderne,relative notamment aux ouvertures, éditée essentiellement en langue castillane. Certes dans l’aristocratie traditionnelle, à Fes, Tétouan, Salé, Rabat, Marrakech et autres villes historiques du Royaume, on jouait aux échecs, souvent avec passion ; mais les règles du jeu étaient parfois différentes ; par exemple on povait pousser deux pions d’une seule case dans l’ouverture ; la prise en passant n’existait pas etc... rares sont ceux qui connaissaient la notation d’une partie d’échecs ; Les ouvrages rhéoriques,les recueils de parties contemporaines, surtout en langue arabe, n’étaient point disponibles.
• En outre Si Driss allait entraîner dans son sillage de nombreux joueurs talentueux dont Feu Bakkali, Hadri, Belarbi, Foukkai et autres. Ce fut l’exemple à suivre. Et ce n’est donc pas par hasard que le premier championnat national individuel eut lieu à Tétouan en 1965, car c’était le prolongement naturel des activités échiquéennes organisées par le protectorat espagnol dans la zone nordique.
• Si Driss Benabud était un joueur classique au vrai sens du terme. Ceux qui l’ont connu le décrivent comme un joueur prudent, très appliqué, respectueux de ses adversaires, qui réfléchit longuement avant d’agir ; son style positionnel trouvait son prolongement chez feu Kadéri et Hadri et non chez Feu Bakkali (son disciple), joueur d’attaque par excellence. Son répertoire d’ouvertures que l’on peut déceler à travers la trentaine de parties que j’ai consultée, reflète cette attitude orthodoxe. Avec les blancs il joue indifféremment e4 et d4, mais son traitement est peu entreprenant, préférant les schémas simples, développant rapidement ses pièces et ne craignant pas les échanges réducteurs. Avec les noirs il opte souvent pour la défense Caro kan ! qui est l’arme usuelle de tout joueur positionnel ; contre d4, il restait fidèle aux systèmes classiques du Gambit Dame refusé, jouant parfois la Slave, mais refusait toujours de s’aventurer dans la Nimzowitsh ou l’Est Indienne. Très laborieux en milieu de partie, fort habile en finale avec une technique implacable qui suscitait l’admiration des joueurs espagnols de sa génération.
Deux Parties Choisies
• Monsieur Onkoud a eu la judicieuse idée de chercher et publier à travers le site les 15 parties jouées par Feu Benabud aux olympiades de La Havane (Cuba 1966) et son unique partie à Lugano (Suisse 1968) ou il était déjà souffrant. Pour ma part, j’ai fouillé dans mes vieux papiers ou j’ai pu trouver la substance des parties disputées par Benabud lors de son Premier championnat individuel d’Espagne (1944- 1945) auquel il a pris part en sa qualité de champion de la Zone du Protectorat Espagnol. J’en ai sélectionné deux que j’estime représentatives du style de notre défunt champion .
PREMIERE PARTIE.
Championnat Individuel d’Espagne 1944-1945
Rodenas - Driss Benabud
Défense des deux Cavaliers
1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fc4 Cf6 4.d4 exd4 5.0-0 Cxe4 6.Te1 d5 7.Cxd4 ?!Meilleur est 7. Fxd5 Dxd5 8. Cç3 Dxa4 9. Cxe4 Fe6 ; avec un léger avantage blanc.Cxd4 8.Dxd4 Fe6 9.Fd3 Df6 !?Si Driss évite ainsi toutes les complications découlant de 9...Fç5 10. Dxg7 Fxf2 + (10... Dh4 !? est aussi envisageable) 11. Rf1 Tf8 12. Te2 Fb6 13 Cç3 f5 avec une position prometteuse mais compliquée et incompatible avec son style de jeu !10.Da4+ Fd7 11.Txe4+ dxe4 12.Dxe4+ De6 13.Cc3Accepter l’échange des Dames dans une telle position est un aveu de faiblesse ; Il fallait se décider pour 13. Dxb7 Fc6 14. Dxç7 Fc5 15. Da5 Td8 ! 16. Dxç5 Txd3 17. Fd2 Td6 18. De3 ?! Dxe3 ! fxe3h5 !?, avec un équilibre matériel et des meilleures chances pour les noirs.Dxe4 14.Cxe4 Fe7 15.Ff4 c615... 0-0-0 coup logique et plus entreprenant qui permet d’accélérer l’attaque, mais il ne cadre pas avec la prudence naturelle de Benabud16.Cd6+ Fxd6 17.Fxd6 Fe6 18.c4Un renforcement bien artificiel en anticipation du coup suivant des noirs. 18. Fc7 est légèrement meilleur.Rd7 19.c5 f5 20.b4 Nouvelle imprécision : 20. Fe5 eut été préférable.b5 ! 21.a4 a6 ?!Prudence jusqu’aubout ! 21...a5 ! aurait écourté rapidement la partie.22.a5 The8 23.Td1 g6 24.Fe5 Fb3 25.Fxf5+ Re7 ?! 26.Td7+ ?L’erreur finale decisive. Il fallait jouer 26.Tb1 attaquant le Fou blanc et conservant l’équilibre matériel.Rf8 27.f4 gxf5 28.Txh7 Ff7Trop modeste. 28... Ta-d8. est plus efficace.29.h4 Txe5 !Simplifie la position en rendant une qualité et entrant dans une finale sans problème. Il faut rappeler qu’il s’agit de la première partie jouée par Benabud dans ce championnat...30.fxe5 Te8 31.Th6 ? Te6 ! 32.Th8+ Fg8 33.Th5 Txe5 34.g4 Ff7 35.Th8+ Fg8 36.gxf5 Txf5 37.Th6 Fd5 38.Th8+ Rg7 39.Ta8 Tf4 40.Txa6 Txh4 .41 Abandonne.
DEUXIEME PARTIE
Championnat Individuel d’Espagne 1944-1945
Driss Benabud - Liorens
Défense française
1.e4 e6 2.d4 d5 3.Cc3 Cf6 4.exd5 Une suite très modeste par rapport aux coups 4. e5 ou Fg5, habituels dans cette position de depart.exd5 5.Cf3 Fg4 6.Fe2 Fd6 7.Ce5 7. Cb5 est la réplique logique, Mais si Driss voulait manifestement simplifier la position face à ce fort joueur espagnol à l’époque.Fxe2 8.Dxe2 0-0 9.0-0 Cc6 10.Cxc6 bxc6 11.Fg5 h6 12.Fh4 Te8 13.Df3 Tb8 !? 14.Fxf6 Dxf6 15.Dxf6 gxf6 16.b3 Fb4 ?!(Meilleur est 16... Te6) 17.Cd1 ! Fd2 18.Ce3 !Rg7Triste nécessité, car troquer le pion f6 contre e3 et l’ouverture de la colonne f tournerait à l’avantage des blancs.19.Cf5+ Rg6 20.g4 Fc3 21.Tad1 Te2 22.Td3 !Un coup subtil qui démontre l’habileté technique de Feu Benabud !22...Fb4Constat d’échec ! 22... Txç2 ? 23. Ce3 ! gagne une pièce.23.Th3 Ff8 24.Tc3Après avoir maîtrisé son aile Roi, Benabud transpose sa Tour à la recherche et la création d’autres faiblesses à l’Aile Dame.24...Tb6 25.Td1 Te4 26.f3 Te2 27.Cg3 Te8 28.h4 Fb4 29.Tcd3 Fd6 30.Cf5 h5 31.Rf2 Ff4 32.Te1 Te6 33.Te2 Fd6 34.Tde334.c4 ! est nettement plus fort ; après 34...Txe2+ 35 Rxe2 les blancs obtiennent une meilleure position. 34...Tb8 tournerait àl’avantage blanc, car 35. Cxd6 çxd6 (35... Txd6 36. Te7) 36.cxd5déformant la structure des pions noires.Txe3 35.Txe3 c5 36.Te8 hxg4 37.fxg4 cxd4 38.h5+ Rh7 39.Re2 Fe5 40.Te7 Rg8 41.Ch6+ Rf8 42.Txf7+ Re8 43.Tg7 Tc6 44.Rd1 Tc3 45.Cf5 Th3 46.h6 Th1+ 47.Re2 Th2+ 48.Rf3 Th3+ 49.Rg2 Th2+ 50.Rg1 Txc2 51.h751. Te7 + suivi de 52. Txe5 et le pion h est promu sans problème, mais le coup du texte gagne également...Tc1+ 52.Rf2 Tc2+ 53.Rf3 Tc3+ 54.Re2 Tc2+ 55.Rd1 Th2 56.h8=D+ ??
Un lapsus terrible qui ne sera jamais oublié par Feu Benabud ! évidemment notre champion voulait jouer 56.Tg8 + suivi de 57. h8= D !
Txh8 57.b4 Th1+ 58.Rc2 Th2+ 59.Rb3 d3 60.g5 Tb2+ 61.Ra4 Txa2+ 62 ... abandonne au 70° coup.
Pour l’histoire, ce championnat d’Espagne sera remporté par le MI Antonio Medina. Liorens fut deuxième...tandis que le jeune prodige Artur Pomar fut quatrième.