Boujemâ Karyouch ...Fragments d’une histoire d’amitié trentenaire
- Par Mohamed Moubarak Rian
- Maroc Echecs , 19 septembre 2008.
Samedi 27 décembre 1975, au centre de la jeunesse de la Maâmoura, je viens de faire un déplacement à Rabat, en compagnie des joueurs de notre toute première association, Borj Rachidi de Chefchaouen…afin d’assister à la phase finale du 4ème Championnat National par Équipes, qui sera remporté par le Club Fassi, devant l’Association de Tétouan.
Je remarquai parmi les spectateurs, un jeune à l’allure frêle, se promenant avec des tas d’ouvrages et de revues sous les bras. On se fait rapidement les présentations d’usage : il s’appelle Boujemâ Karyouch, il rentre de France et il est correspondant de « Europe Echecs », une revue internationale du jeu d’échecs dont j’entendis parler pour la première fois. Je conclus alors mon premier abonnement, mais ce fut surtout l’amorce d’une amitié sincère, autour du noble jeu, qui s’enracinait au fil des ans. Mon impression première, que je garde toujours, est qu’il s’agit d’une personne courtoise, tolérante, passionnée des échecs, qui n’hésite pas à rendre service sans demander l’identité du bénéficiaire ni se soucier de sa contrepartie matérielle ou morale. Un Mahatma Ghandi ressuscité en terre marocaine !
Durant les quelques cinq années qui suivirent nous avons eu ensemble une correspondance abondante et échangé plusieurs dizaines de lettres autour de la thématique d’échecs. Il aura contribué indirectement à l’essor de notre club « Alwan Fannia » de Chefchaouen, à travers la couverture de ses activités échiquéennes locales ou nationales, publiées souvent avec des parties choisies par ses soins, parfois commentées, dans « Europe-Echecs », qui était le seul organe échiquéen spécialisé connu au Maroc et disponible uniquement à travers l’abonnement. A un certain moment il y avait une dizaine d’abonnés à Chefchaouen, ce qui constituait un pourcentage important pour une petite ville hors de France ! Grâce à son assistance bénévole j’ai pu m’abonner, au cours de ces années mémorables à plusieurs publications étrangères telles que : « Jaque » (Espagne), « British Chess Magazine », « Chess »(GB), « Chess Life & Review » (USA) et « Deutshe Shachzeitung » (Allemagne) sans oublier divers ouvrages acquis par son intermédiaire et autres matériaux d’échecs commandés par notre association.
Nos rencontres échiquéens directes étaient plutôt rares à l’époque, car Boujemâ, de tempérament sédentaire, n’était pas un joueur de compétition au vrai sens du terme ; il se dépensait beaucoup plus pour l’encadrement des clubs d’échecs et l’entrainement des jeunes, partout où il réside. A Mekhnès où il a créé le club de la jeunesse des PTT, puis une association baptisée « l’Ecole Meknassi des Echecs » ce qui a contribué à la détection et la formation de nombreux talents comme Mourad Bennani, ex champion du Maroc Junior ; Mais surtout à Khémisset, où il a marqué de son empreinte le formidable mouvement échiquéen qui devait métamorphoser le paysage sportif de cette ville, connue surtout pour ses prouesses en matière d’athlétisme, avec l’assistance initiale de notre ami Khalid Chorfi, triple Champion du Maroc.
Malgré cet éloignement géographique, nous avons pu disputer deux parties par correspondance (restées hélas inachevées !) et échangé de nombreuses parties, avec des commentaires réciproques, dont sa « fameuse » partie remportée face à Bachir Sbia au sommet de son niveau, en mars 1980, à l’occasion du match Casablanca versus…Reste du Maroc ! Une Est Indienne que notre ami Boujemâ pourrait commenter pour les lecteurs de ME sous un nouvel angle !
En parallèle avec ses efforts en matière d’encadrement, d’entraînement des jeunes, d’organisation de tournois et d’arbitrage ; Boujemâ se lança dès les débuts des années 80 dans la promotion des échecs à travers la presse marocaine francophone. Il fut un pionnier dans ce domaine précis, à côté de Feu Bahaoui et Abdelhafid Elamri (pour les journaux arabophones).
Ce fut, tout d’abord, dans les pages de l’Opinion ; une expérience de courte durée, car malgré ses efforts et le travail de qualité fourni bénévolement, la presse sportive était dominée plutôt par l’actualité footballistique et montrait peu de respect pour les autres disciplines ce qui finit par exaspérer notre Boujemâ ! Et pourtant, il avait élaboré de belles idées pour sa chronique, restées à l’état brut, et il fallait attendre les débuts des années 90 pour tenter une autre expérience sérieuse avec l’appui de Feu Kamal Skalli, à travers Al Bayane, organe du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS). Boujemâ n’hésitait jamais à demander l’avis des ses amis concernant le contenu de ses chroniques, mais ses initiatives avaient un sentiment d’inachevé, car à un moment donné il devait mettre fin amèrement à ses projets , sans pour autant affecter son optimisme naturel. Au cours des années 80, toujours, j’ai rendu visite à Boujemâ chez lui (167 Rue des Acacias à Meknès, une adresse qui habite encore ma mémoire !) et à Moulay Driss, en compagnie de mon frère Kacem, où il a passé une période transitoire avant de s’installer définitivement à Khémisset.
C’est là que j’ai pu le voir travailler telle une fourmi à l’occasion de ses tournois Opens ou par équipes organisés au cours de cette période florissante ; Mais je devais attendre jusqu’à juillet 2007 pour rencontrer Boujemâ, en chair et en os à Chefchaouen, malgré ses affinités avec notre petite ville. C’était l’occasion de constater que cet amoureux du noble jeu n’a guère changé après plus de trente ans d’amitié : se dépensant sans compter, fournissant un travail herculéen au détriment de sa santé fragile, et veillant toutes les nuits pour présenter des infos, des documents et affiner ses outils échiquéens de qualité. Je suis heureux que notre site Maroc – Echecs, a permis à de nombreux lecteurs, surtout parmi les jeunes, de découvrir l’immense connaissance échiquéenne de notre ami Boujemâ, et d’apprécier ses contributions techniques de haute qualité, mises gracieusement à la disposition de tous les échéphiles, et de constater aussi l’énorme gâchis d’une fédération qui n’a pas su ou voulu tirer profit de cette précieuse éminence échiquéenne.
Comme quoi… " la mauvaise monnaie chasse toujours la bonne". Enfin, je me réjouis de pouvoir rencontrer Boujemâ, quotidiennement, au sein de Maroc-Echecs, en tant que Rédacteur en Chef- Adjoint, accomplissant sa mission avec enthousiasme et maestria, renouant ainsi avec sa vocation première de journaliste échiquéen ; en attendant un changement radical dans la scène sportive nationale, et l’émergence d’une véritable instance fédérale susceptible de mettre sa riche expérience en valeur... "L’optimisme est de volonté ", n’est-ce pas mon cher Boujemâ ?!
Commentaire du 20 septembre 2008, par Boujemâ Karyouch ...
Cher Moubarak, Quand j’ai ouvert Maroc-Echecs comme d’habitude en cette nuit de vendredi à 22h, j’ai été frappé par l’annonce de ton article me concernant. Karyouch avec le « y », c’est toute une histoire ce « y » qui maintenant a laissé la place au « i » par une inattention d’un fonctionnaire d’état-civil. « Fragments d’une histoire d’amitié trentenaire » tout au long de sa lecture m’a ému. Fortement ! Autant il me remémore le début et un parcours de ma vie échiquéenne notamment avec Chefchaouen ce qui explique bien sur mon « affinité » très particulière avec Alouane Fannia, autant notre amitié qui est resté la même pleine de respect, de franchise, de fraternité réciproque. « Fragments d’une histoire d’amitié trentenaire » est pour moi un trésor incommensurable. C’est naïf. Mais c’est la réalité. Un témoignage d’un parcours d’un dingue des échecs. Il vaut plus que les hommages rendus par la fédération, il vaut plus que tous les titres. Il me confirme que gagner le respect vaut tout l’or du monde. A travers toi, ce sont des tranches de ma vie qui passent devant moi et qui me dise que si c’était à refaire je le referais. Nice, Marseille, Meknès, et Khémisset maintenant…Des villes, des arènes de combats pour les Echecs et ses gens. Et cela continue toujours. Tu comprendras le pourquoi de ma redondance au sujet de la problématique fédérale. De voir ce sport toujours en « arrière » alors que pourtant les choses sont simples pour peu qu’un travail sérieux et désintéressé suit son cours normal. Après ces années nous en sommes encore de plein pied dans la bêtise à causes d’hommes qui ne comprennent pas ce qu’on les échecs. Et n’ont pas la volonté réelle de se mettre aux services de ses composantes dans le sens qui doit l’être. Effectivement, je n’ai jamais compris pourquoi les responsables fédéraux ne m’ont jamais donné une petite chance de travail sérieux dans un cadre sérieux. Peut-être que je dérangeai par mes idées qui allaient vers le bas (les gens) pour remonter vers le haut (les structures). Car j’ai toujours pensé que se pencher d’abord sur les composantes de notre sport était essentiel pour avoir une fédération forte qui remplit son rôle. C’est toujours le contraire qui se fait. Mais enfin, laissons cette question qui reste ouverte à de multiple eternel point de vue discordant. Ton témoignage me rend fort, balaye d’un coup toutes les fatigues, les frustrations. Je suis fier de ton amitié, de cette ville de Chefchaouen fief d’Alouane Fannia qui m’a bercé, admiratif, dans une épopée fantastique, inoubliable car marquante, durant des années. Cette amitié n’a pas de prix, car c’est elle qui restera et que j’emporterais avec moi. Je suis fier aussi de ce Maroc des Echecs, en dépit de ses insuffisances qui ne résisteront pas, tôt ou tard, à l’inévitable volonté de changement. Je suis fier de connaître toutes ces personnes, dirigeants, cadres, joueurs (ses), parents. C’est ma seule grande famille ! C’est le seul bien que je possède dans cette vie. Puis-je être toujours à la hauteur de l’estime et de leur respect. Merci Moubarak ! Merci Maroc Echecs ! Merci également à Abdelhafid El Amri. "Les années passent et nous en sommes toujours là !!!" N’est-ce pas Abdelhafid ? Que Dieu vous Bénisse tous ! Boujemâ Kariouch
Commentaire de Moubarak
Boujemâ Karyouch , en attendant...
cher Boujemâ, Lorsque j’écrivais ce modeste article, mon intention était uniquement de témoigner d’une amitié sincère qui a transcendé plus de trois décennies, et non de te rendre hommage ; Car j’estime que tu mérites une reconnaissance ample et générale pour tout ce que tu as fait pour la promotion, la formation et le développement de notre fantastique discipline. Je comprends ton amertume pour l’attitude incompréhensible dans diverses instances fédérales qui ont laissé à la marge, une personne compétente laborieuse disposée à mettre toute son expérience et, son savoir faire et son amour des échecs à la disposition des dirigeants de la FRME. Et lors des peu d’occasions qui t’ont été offertes (Stages de formation d’entraineurs à FES 2004 & Settat 2005 par exemple), tu as constaté un manque de sérieux et surtout le peu de respect pour les programmes que tu présentais. La raison profonde de ce gâchis est l’absence de structures rationnelles, et d’une gestion participative dans cette discipline réputée pourtant pour être intellectuelle. Et cette tâche difficile ne pouvait être confiée à un "meneur d’hommes" qui manquait de compétence, d’expérience échiquéenne, de relations et de sens de communication, avec un caractère susceptible et impulsif de surcroit. Et il faut s’armer de ton optimisme naturel pour espérer un changement dans un proche avenir... Bien cordialement et à Bientôt.
Post-scriptum : " Ce témoignage spontané, publié en septembre 2008 sur maroc-echecs, voulait rendre hommage et surtout encourager notre cher ami Boujemaâ qui souffrait physiquement et moralement (attitude disgracieuse de la FRME), alors qu'il se dévouait sans relâche pour promouvoir le noble jeu, la discipline qu'il vénérait toute sa vie. Il devait s'éteindre le 03 septembre 2011 à l'âge de 55 ans, laissant un vide énorme sur l'espace de la communication échiquéenne et l'encadrement technique, notamment des jeunes... Son image est toujours vivante auprès de tous ceux qui l'ont connu. Que Dieu l'ait en sa sainte miséricorde."