Abdelwahed El Fassi Fihri tel que je l’ai connu...
- Hommage & Témoignage
- Publié le lundi 16 octobre 2006.
- Par Mohamed Moubarak Ryan
• 1976 ; Un professeur vient de faire son entrée dans une classe de l’Ecole des Sciences de l’Information (ESI) ou je poursuis mes études universitaires. Il s’agissait, c’est vrai, d’une matière accessoire parmi d’autres (la géographie), mais l’assistance fut tout de suite séduite par l’amour que porte l’enseignant à sa discipline, en l’occurrence Abdelwahed El Fassi Fihri, et la manière alléchante avec la quelle il explique les phénomènes géologiques, sa grande spécialité, aux jeunes étudiants. En outre l’homme est courtois, affable et déborde de gentillesse. Mais je ne pourrais imaginer, à l’époque, que derrière cet aimable personnage se cache un échéphile passionné et grand amateur du noble jeu dans tous ses états. Notre connaissance fut donc limitée aux relations habituelles étudiant/enseignant.
• En octobre 1982 je rejoigne la même institution à Rabat pour y compléter mes études supérieures. A la même année, en décembre à Casablanca, je remportai mon premier titre de Champion du Maroc… Il y eut une Assemblée Générale de la FRME, présidée alors par Feu Mustapha Bakkali. Quelle fut ma surprise de remarquer la présence parmi l’assistance de Monsieur Abdelwahed Fassi, à côté de son cousin président du Club Atlas de Mohammedia. Ce fut immédiatement les accolades d’usage et l’amorce d’une nouvelle et réelle amitié, fruit de ces retrouvailles « échiquéennes » inespérées !
• Il m’a aussitôt invité à sa villa sise « 55, Avenue Alaouiyine » pour approfondir notre connaissance et échanger notre bagage échiquéen ! Je ne voudrais pas m’attarder ici sur son sens de l’hospitalité et sa générosité naturelle, car sa maison était largement ouverte aux nombreux joueurs et dirigeants des clubs d’échecs marocains ; Ils étaient toujours reçus avec attention et délicatesse, quelles que soient les motifs de leurs visites. Je fus tout d’abord impressionné par sa bibliothèque échiquéenne qui recèle des ouvrages de grande qualité, la plupart en langue française, comme « Mon système » de Nimzovitsh ou bien « les Prix de beauté aux échecs » de F. Le lyonnais, mais aussi en d’autres langues. Sa culture en matière d’échecs me sembla sans limites tant qu’il était capable d’étaler, de mémoire, des centaines de variantes d’ouverture, et d’évoquer en détail la vie et les œuvres d’anciens champions. Sa connaissance de la vie échiquéenne marocaine fut limitée à l’époque, fautes de contact avec la FRME et les lacunes habituelles dans la communication fédérale. Mais il connaissait d’ouie, tous les grands joueurs nationaux, tels que Bakkali, Bennis, Kaderi, Nejjar, Chorfi, Abbou Marrakchi, Sbia et autres Ait Hmidou…sa Culture Générale, consolidée par une mémoire d’éléphant, forçait l’admiration. Des événements, des lieux, des dates, des citations sont souvent évoqués avec précision sans faille et détails.
• Je résidais alors dans un petit hôtel au centre ville « Splendide » ; Il venait régulièrement me chercher et m’inviter chez soi afin de disputer quelques parties amicales et discuter essentiellement des échecs. Mais on parlait aussi de sujets divers, tant qu’il y’avait souvent d’autres invités parmi sa grande famille et ses amis. J’appris que Feu Abdelwahed fut initié au noble jeu par son père, l’éminent savant, investigateur, authentique nationaliste et Homme d’Etat, Si Mohamed Fassi.. « L’Historiographe du Royaume », Abdelwahab Benmansour, nous informe dans son ouvrage biographique« Hassan II : Vie et Œuvres » que c’est Med Fassi lui-même qui a enseigné le jeu d’échecs au monarque défunt. Discipline indispensable pour toute éducation royale.
• Feu Abdelwahed était ravi de faire la connaissance de nombreux échéphiles, dont certains sur ma propre initiative, comme Abdlhafid Elamri, Noureddine Majdoubi, Abbou Marrakchi, que j’avais souvent l’occasion de rencontrer au sein du célèbre « Cavalier Blanc » de Rabat. D’autres joueurs vont bientôt approcher cet amateur passionné, toujours disponible à jouer d’interminables parties, jusqu’à l’aube s’il le fallait !
• Vu son amour pour le noble jeu, sa situation sociale et ses relations au plus haut niveau, certains le sondaient déjà, pour assumer la présidence de la FRME. En homme humble et modeste, il estimait qu’il ne peut prétendre à une telle fonction et prendre la place de Feu Bakkali qu’il respecte beaucoup. Mon point de vue fut qu’il devrait d’abord investir ses relations pour doter la capitale d’un fort club d’échecs, et s’habituer aux rouages fédéraux et aux problèmes concrets de la scène échiquéenne nationale. Cela ne l’a pas empêché de proposer ses louables services pour aider la Fédération à résoudre certaines difficultés ; Son apport fut décisif lorsqu’il s’agissait alors de mettre la pression pour faire reconnaître les échecs en tant que discipline sportive à part entière. Je me souviens de notre entrevue avec l’ancien Ministre de la Jeunesse et Sports Abdellatif Semlali, un jour d’automne 1984, où il défendit bec et ongles la cause du noble jeu, et déploya des trésors d’arguments pour dissuader le Ministre réticent. Processus qui va trouver une fin positive lorsqu’il accéda en 1988 à la présidence de la Fédération.
• Les circonstances ont peut être guidé Feu Abdelwahed, sans l’avoir vraiment cherché, vers la présidence de la FRME. Ainsi suite à l’élection de Monsieur Mohamed Haloui à la tête de la Fédération, en décembre 1986, face à Feu Bakkali, la scène échiquéenne allait rapidement vivre une période de fortes turbulences - pour des raisons que je ne voudrais point évoquer ici – menaçant de dilapider les acquis de l’ancienne équipe fédérale et de scinder en deux la famille échiquéenne marocaine, toujours fragile. La majorité des clubs ayant exigé la tenue d’une assemblée extraordinaire pour trancher sur la crise actuelle, Feu Abdelwahed, fut tout naturellement approché pour prendre en main la destinée de la FRME, étant la seule personnalité échéphile pouvant calmer les esprits, rassembler les bonnes volontés, et espérer un avenir meilleur. Le 3 avril 1988 allait donc marquer le début d’une nouvelle expérience de gestion directe des affaires fédérales, pour cet homme plein de bonté et de gentillesse, à tel point que d’aucuns diraient à l’époque qu’il est « trop bon » pour affronter les problèmes, les complications et les antagonismes du champs échiquéen marocain.
• Cette expérience ne dura malheureusement que deux ans ; Une période trop courte, à mon avis, pour formuler un jugement juste et objectif. D’autant plus que le Président et sa nouvelle équipe (dont l’ossature fut constituée de Messieurs Abdelhafid Elamri, Abdelmajid Rian, Noureddine Majdoubi, Othman Alami et Rghioui) devait d’abord remettre de l’ordre dans l’Administration fédérale suite à la crise susmentionnée ; et affronter ensuite un grave différend survenu dès novembre 1988 avec Monsieur Elamri, dans des circonstances fâcheuses dont l’évocation déborderait le cadre de ces propos ...Neanmoins, ce trop court mandat constituait une réussite à plusieurs égards. Feu Abdelwahed prit son bâton de pèlerin pour faire le tour du pays, encourageant la création de nombreux clubs un peu partout ; Il organisait deux championnats nationaux individuels, le 18° et le 19° (en 1988 & 1989 à Rabat et Casablanca) dans des conditions acceptables malgré la carences des moyens financiers ; Le point d’orgue de cette année fut la célébration, à Fes, du "Jubilé d’Argent" de le FRME au sein du même hôtel (Zallagh) oْ elle fut fondée le 2 novembre 1963 ; La Direction de la Poste oblitéra à cette occasion un timbre poste commémorant ce 25ème anniversaire, une première en son genre ! La phase finale du Championnat par Equipes qui eut lieu à Rabat en mars 1990, et remporté par Régie Tabacs fut une belle réussite ; Sur le plan technique, le Séminaire de Formation d’Arbitres organisé à El Jadida en mai 1990, a connu un grand succès avec la participation de 38 candidats, dont certains obtiennent leur titres d’arbitres nationaux. Sous son impulsion, Casablanca, allait vivre un grand événement international, le Tournoi de Son Altesse Royale le Prince Héritier en octobre 1988, organisé par l’Association des Navigants Techniques de la RAM.
• Aussitôt après ce mémorable tournoi, l’Equipe Nationale va prendre part aux 28° Olympiade de Thessalonique en Grèce grâce aux efforts déployés par le Président et l’apport de la RAM. Feu Abdelwahed et Madame Kamar El Abdelaoui, qui a toujours épaulé son mari dans sa mission ont fait le déplacement, réconfortant matériellement et moralement l’EN, conduite par le nouveau Champion du Maroc Hicham Hamdouchi (16 ans !). Tout au long de ce voyage nos joueurs ont apprécié les qualités humaines et le sens de l’écoute de Si Abdelawahed et son épouse. A Salonique ce fut également l’occasion pour le Président de la FRME de multiplier ses contacts, qui vont aboutir à la création de l’Union Maghrébine des Echecs, et l’organisation, ensuite à Oujda en mai 1990 du Premier Championnat Maghrébin par Equipes Nationales.
• Fatigué par deux années d’intenses activités, et diminué physiquement par ses problèmes redondants de santé, Feu Abdelwahed décida, à la surprise générale de ne pas briguer un deuxième mandat (fixé alors à deux ans) à la tête de la Fédération ; Il remit le relais à son Vice- Président Feu Kamal Skalli, au terme de l’Assemblée Générale ordinaire tenue en septembre 1990. La FRME allait ainsi rebrousser chemin à Casablanca, mais l’expérience personnelle de feu Kamal sera de courte durée dans des circonstances différentes et bien pénibles.
• Feu Abdlwahed n’abandonnait guère son hobby préféré, ni son engagement pour promouvoir les échecs marocains. Immédiatement après son départ, nous fûmes surpris et ravis de le retrouver, parmi l’Equipe Nationale qui a fait le déplacement à Novi Sad pour disputer la 29° Olympiade en ex Yougoslavie (1990), et réconforter par sa présence « bénévole » l’ensemble des joueurs. C’est cette disponibilité permanente qui était le trait le plus touchant chez cet humble personnage, qui tenait toujours à répondre favorablement et gentiment aux invitations des clubs à travers le Royaume, à l’occasion d’activités échiquéennes ou autres. Ainsi nous avons eu beaucoup d’occasions de le recevoir à Chefchaouen oْ il se sentait bien. Il fut, notamment, notre invité d’honneur lorsque l’Association Alouane Fannia prit l’initiative d’organiser la première Rencontre Maghrébine par Equipes en juillet 1991.
• Après son éloignement de la gestion échiquéenne pour des raisons personnelles, nos occasions de rencontres directes sont devenus plutôt rares. Mais on se téléphonait de temps en temps, notamment à l’occasion des fêtes religieuses. En 2001, emporté par son amour éternel du noble jeu et sa volonté d’assainir et servir la FRME, il se porta candidat à sa présidence . La majorité des clubs lui a préféré un certain Monsieur Mustapha Amazzal, nouvelle figure pleine de promesses. Il réitéra sa tentative, quatre ans après, face au même Amazzal sans succès, signe des temps... Dans les deux cas, je ne fus pas associé à son projet et n’étais point au courant de ses motivations ni de ses véritables chances de réussite.
• Feu Abdelwahed El Fassi Fihri aura gardé un goût amer de cette ingratitude ; notamment lorsqu’elle émane de certaines personnes qui lui ont assuré leur fidélité et garanti leur appui. Il préféra donc tirer les rideaux sur la scène désolante des échecs marocains actuels, et se contenter de jouer pour les plaisir d’interminables parties nocturnes, avec un cercle restreint d’amis échéphiles…Que Dieu l’ait en sa Sainte Miséricorde.
Abdelwahid Fassi Fihri tel que je l’ai connu...
17 octobre 2006 , par Boujemâ Kariouch
Merci cher Moubarak pour ce témoignate et hommage de Feu Abdelouhed Fassi Fihri. Je me joint également à toi pour donner un hommage personnel et celui de Khémisset au Défunt. Abdelhouahed Fassi Fihri n’est plus. Mais il gardera sa place dans notre mémoire. L’homme était vraiment spécial quoi qu’il fut une grande personnalité nationale, un membre d’une grande famille également très spéciale en celà qu’elle se mélange avec l’histoire de notre pays.
Par quatre fois Feu Abdelouahed à répondu aux appels du club IZ Khémisset et par quatre fois il nous a honorer de sa présence lors de manifestation locale. Il nous rendait grand auprès des autorités et responsables locaux qui ne retenait que le prestige de son nom et de sa fonction au Cabinet Royal.
La modestie dans un homme d’une telle envergure, c’est ce qui m’a le plus touché en lui. On ne peut nier son apport en faveur des échecs marocains. Il a posé certains jalons sur lesquels notre discipline pouvait prétendre se lever. Il à montrer l’exemple et puis s’est retiré par la grande porte.Si seulement il était resté à son poste, sans doute notre sport aurait connu un meilleur sort que celui d’aujourd’hui. Dans cet homme qui fut toujours soutenu par une femme, elle aussi très spécial et qui assistait aux compétitions nationales, il y avait du sérieux, de l’humour à en revendre et une approche qui dégelait les plus timides qui n’osait lui parler. Malgré la pression de ses amis il ne voulait pas assurer la présidence de la Ligue du Gharb qui aurait pu lui servir de tremplin vers la présidence de la FRME contre Amazal. Son absence de la scène échiquéenne nationale, malgrè quelques apparitions ici et là à l’occasion de championnat,ne l’avait pas avantagé.
A chaque rencontre avec lui, il écumais contre Amazal, il nous étalait les disfonctionnements qui émaillaient la FRME, en faisant comparaison avec la période de sa présidence 1988/1990.
Sa maison était ouverte tout le temps lors de sa présidence. Qui n’a pas déjeuner ou dîner cher lui à sa villa avenue Alaouiyne à Rabat. Qui un jour n’a pas été herbergé la nuit et qui n’est pas passé par la scéance de"Blitz" sous son humour.
Lors de l’organisation des championnats ou tournois nationaux il était partout avec tout le monde, discutait, palabrais, suggèrait et se faisait plaisir d’être présent au milieu des échecs marocains.
Son désire de reprendre du travail à la tête de la Fédération n’avait d’égale que sa volonté de poser, cette fois, une base solide au profit de notre sport.Il avait eu de nouvelles idées en ce qui concerne l’organisation générale de la Fédération.
L’amertume il l’a toujours connu au sein de notre discipline car c’est une caractéristique des échecs marocains à l’instar des autres sports nationaux. Et c’est un peu à cause de celà qu’il a quitté la présidence en 1990 au profit de Feu Kamal Skalli. Il savait que les échecs marocains allaient se casser la gueule. Il avait raison.
Les échecs à Khémisset n’aurait pas été ce qu’il sont aujourd’hui. C’est grâce à lui que le club Faras puis l’Ittihad Zemmouri de Khémisset, section Echecs ont pu évoluer sérieusement.
Son départ final est regretable pour notre sport. Mais il était inévitable. Car chacun de nous attend son départ vers un autre monde.
A bientôt Abdelouahed Fassi Fihri garde nous quelques une de tes bonnes idées et remarques.
Boujemâ Kariouch